ERRANCES, OU L’HISTOIRE D’UN ÉTRANGER AURÉOLÉ DE MYSTÈRE…
« L’homme courait. À travers la forêt dense et sombre, il se faufilait entre les troncs noueux qui tendaient leurs branches basses comme pour le frôler. Il courait à petites foulées régulières, la respiration tranquille, les joues à peine rougies par l’effort qu’il maintenait depuis… depuis… il ne savait plus quand. La seule chose qui importait, pour l’instant, c’était de courir. De s’éloigner le plus loin possible pour échapper à… À quoi ? Les images étaient floues dans sa tête et se dissipaient dès qu’il tentait de se concentrer sur ce qui s’était produit. Les seuls souvenirs de ce qu’il fuyait s’étalaient en taches sombres sur sa tunique déchirée. Mais peu importait pour le moment, il fallait juste courir.
Alors, il poursuivait sa course. Seul parmi les arbres et les buissons, sur le sol traître et glissant recouvert de mousse, de feuilles et de bouts de bois en putréfaction, il se frayait un chemin tortueux entre les branches et les épines qui voulaient s’accrocher à lui et le retenir. Et la végétation dense se refermait sur ses pas, gardant jalousement secrètes les maigres traces de son passage.
Dès que le terrain le lui permettait, il accélérait la cadence. Et son corps s’adaptait à ce nouveau rythme sans laisser deviner la moindre fatigue. Sans montrer non plus de signe d’essoufflement lorsqu’il fallait gravir une pente abrupte, se baisser pour échapper à des branches basses ou tourner brusquement de côté pour éviter un obstacle. Telle une machine inépuisable, il s’adaptait, tout naturellement, et fournissait l’énergie nécessaire pour accomplir la volonté de l’homme qui courait ainsi depuis plusieurs jours.
Celui-ci n’avait pas froid. Il n’avait pas faim. Seule la soif l’incitait à faire une brève halte lorsque son chemin croisait un ruisseau. Il se passait alors de l’eau sur le visage, la nuque, les cheveux. Il se désaltérait copieusement et reprenait aussitôt sa route sans un regard en arrière. Sans but, sans repère, il courait à travers la forêt profonde devenue complice de sa fuite.
Seuls le temps et ses journées raccourcies de fin d’automne parvenaient à le rattraper. La lumière baissait insensiblement sous la canopée touffue qui jetait peu à peu une pénombre dense sur ses pas. Puis, brusquement, il n’y voyait goutte. Obligé d’interrompre sa course, il jetait son dévolu sur l’arbre imposant le plus proche. Il se hissait sur une branche large et s’installait du mieux qu’il pouvait contre le tronc solide pour voler quelques miettes d’un sommeil sans rêves. À l’aube, étonnamment reposé, il reprenait son chemin à travers bois. »
Extrait de La Quête du Temps – Temps 1 : Errances